• Traducteurs versus correcteursLe titre de ce post est trompeur : il ne correspond pas à ce que je pense, mais plutôt à ce que j'ai pu constater dans les rapports entre traducteurs et correcteurs récemment, à mes dépens. Je ne sais pas si cette relation a toujours été ambiguë, mais j'ai l'impression que les choses se dégradent.

    Tout d'abord, je ne pourrais pas être contre les correcteurs si je suis moi-même correctrice. Notre travail est certes solitaire, mais je l'envisage malgré tout comme un travail d'équipe, que ce soit lorsque je travaille pour les Maisons d'Edition, mes employeurs préférés, ou pour les agences. Je sais que je serai corrigée et cela me rassure. Ou plutôt, cela me rassurait, car je commence à craindre la compétition et le manque d'objectivité de quelques-uns de mes homologues. 

    Je reconnais les faiblesses humaines, mais la mauvaise foi n'intègre pas la liste de mes défauts. Lorsque je corrige la traduction d'un collègue, je pointe les fautes  - et seulement les fautes, en faisant très attention à ne pas juger ses choix. C'est un exercice de maîtrise de soi. Je connais les risques que j'encoure, mais je ne me permettrais pas de dire qu'une bonne traduction est mauvaise par peur de perdre un travail ou un client, autrement je ne pourrais plus jamais me regarder dans une glace. Il se trouve que j'ai récemment été victime d'une correctrice pas assez... disons... objective lors d'un test pour une agence. 

    Je ne veux pas vanter mes qualités, mais mon expérience est un fait indéniable. Le test était assez facile, constitué de mots plutôt banaux, surtout pour quelqu'un qui a déjà traduit Paul Veyne et Claude Lévi-Strauss, des auteurs complexes. Je l'ai fait avec l'attention que je porte à tous mes travaux, qu'ils soient " savants " ou ordinaires. J'ai été surprise lorsque j'ai reçu le résultat négatif de l'agence, disant que la correctrice avait trouvé beaucoup de fautes et que, par conséquent, une future collaboration ne serait pas envisageable. 

    J'ai évidemment sollicité la correction pour vérifier quelles étaient ces fautes. La correctrice a trouvé bon de remplacer une dizaine de mots par des synonymes qu'elle considérait peut-être davantage appropriés, adaptés, jolis, drôles ou ne je sais pas pour quelle raison. Or, le choix des mots, s'ils reflètent le sens de ce qu'a souhaité dire l'auteur, doit être une prérogative du traducteur. La correctrice a agi sans aucune considération pour les conséquences que subirait le professionnel derrière le texte traduit. Et comme personne dans l'agence ne parlait portugais, le grand nombre de " fautes " commises ont été rédhibitoires. Et me voilà impuissante et en colère. 

    J'avais déjà lu quelques discussions dans les forums de Linkedin à ce propos. J'adore mon métier, mais il me rend triste par les temps qui courent. Je peux supporter le côté compétitif du marché si nous nous battons à armes égales, mais j'ai beaucoup de mal à faire face à la malhonnêteté. 

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  • L'omniprésente publicitéIl y a quelques semaines, en rendant visite à mon blog, j'ai été très surprise de constater la présence de publicité partout. J'avoue que j'étais un peu absente dernièrement : j'adore écrire, mais j'étais un peu abattue par la crise brésilienne qui a rejailli sur moi et la direction que prend le marché de la traduction.

    J'ai alors contacté mes hôtes pour qu'ils m'expliquent les raisons de cette gênante intrusion. Je les aime bien, ils sont toujours à l'écoute et sont très sympathiques. Depuis que mon blog précédent sur la Corée a pris fin du jour au lendemain pour cause de problèmes financiers, j'estime que la relation avec nos hôtes est importante, j'apporte mon soutien à chaque fois qu'ils me le demandent. J'aurai été dévastée de perdre le contenu de ce blog qui représente un certain nombre d'heures d'écriture et de m'éloigner des fidèles lecteurs qui accompagnent depuis déjà cinq ans mes états d'âme, mes joies et mes réflexions sur la traduction et les cultures.

    Cela fait déjà un bon moment que je reçois des propositions de partenariat publicitaire de la part de mes hôtes, que je refusais pour diverses raisons. La première est esthétique. Je voulais garder la classe. Quelques blogs ont tellement de publicité que le contenu disparaît derrière un flot d'images et de slogans. Mais les raisons moins visibles et plus profondes sont plutôt d'ordre philosophique. Je déteste l'évolution des choses, le fait que tout devienne mercantile. Je suis peut-être trop naïve, nostalgique, vieux jeu, mais cette idée me désole. Parfois je me sens un gros porte-monnaie. Je reçois plus de messages électroniques de commerçants que de mes amis. Dans ma boîte aux lettres, je reçois plus de factures et de publicité que des cartes postales. 

    Je constate tristement que beaucoup de gens sont considérés pour ce qu'ils ont et non pas pour ce qu'ils sont. Hélas c'est aussi par ces critères qu'ils voient les autres. Je sais, cette conversation est dépassée, ringarde, datée, démodée. Mais ce sont ces questions-là qui m'interpellent lorsque je me sens harcelée en permanence par la pub omniprésente, ce que je voulais éviter aux lecteurs de ce blog.

    Mais... comme j'ai refusé le partenariat commercial toutes ces années, mes hôtes imposent désormais la pub aux blogs gratuits comme le mien. Je comprends leurs raisons. Mon blog est un hobby, leur travail d’hébergeur est leur gagne-pain. C'est comme ça. Ils m'ont cependant promis de respecter le design et de ne placer que des annonces qui ont trait au thème du blog. Meno male. On verra. Quoique, ce matin, il y avait une réclame pour préservatifs. Même si je suis une ardente défenseure de l'utilisation du préservatif pour lutter contre le sida, les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses indésirables, je prie gentiment aux lecteurs de faire la part des choses. 

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  • Claude Lévi-Strauss m'a toujours fascinée. L'homme ou l'ethnologue ? Il m'est impossible de dissocier les deux, surtout pour l'anthropologue que je suis. J'ai toujours affirmé ici ou là que l'anthropologie est beaucoup plus qu'un choix professionnel, elle représente une nouvelle manière de voir le monde, une rupture avec notre propre système de pensée à travers l'instauration de la distance épistémologique, du regard éloigné lévi-straussien. Tout ce que nous entoure devient, en quelque sorte, objet d'observation, car nos actes, nos pensées, nos gestes et comportements sont produits par notre culture et, par conséquent, sujets à analyse. 

    Mon attachement à ce personnage est très fort, je me suis souvent demandé pourquoi. Après tout, le structuralisme n'a jamais vraiment été ma "tasse de thé". J'avoue ne pas avoir lu "Les structures élémentaires de la parenté" jusqu'au bout. "Mon" Lévi-Strauss est celui de Race et histoire, Tristes Tropiques et La pensée sauvage. Je ne mentionnerai même pas Saudades do Brasil car, ici, c'est l'émotion pure qui parle, le coeur d'une brésilienne expatriée depuis plus de vingt ans, à commencer par le titre - en portugais dans sa version française, qui me touche déjà. La réponse à cette excessive admiration m'a été donnée à la lecture du fascinant livre "Lévi-Strauss" d'Emmanuelle Loyer. Je ne l'ai pas encore fini, mais je suis déjà conquise. L'auteure est minutieuse, détailliste, le travail documentaire réalisé est énorme, mais surtout - et cela est mon interprétation personnelle, elle l'a humanisé. Car Lévi-Strauss, icône de l'ethnologie française, a souvent été entouré d'un respect cérémonieux, d'une distance révérencieuse. Emmanuelle Loyer l'a montré en prise avec ses doutes, ses hésitations, ses défauts et ses qualités. Elle le montre gourmand, amateur de voitures, elle parle de ses échecs, en aucun moment je n'ai l'impression qu'elle marche sur des oeufs comme, moi, je l'aurais fait. Le résultat est extraordinaire, à la hauteur du personnage.

    Ce livre et la conférence donnée par Emmanuelle Loyer à laquelle j'ai assisté m'ont aidée à dénouer le mystère de mon excessive admiration pour Lévi-Strauss. J'ai enfin compris ce que j'aime le plus chez lui : c'est l'un des rares à avoir mis en cause l'arrogante suprématie de la culture occidentale - souvent considérée comme un but à atteindre - en la plaçant à un niveau égal à toute autre culture avec légitimité, propriété, une énorme connaissance et, surtout, beaucoup de classe. 

    Lévi-Strauss d'Emmanuelle Loyer, Flammarion, 2015. Prix Femina 2015. 

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  • Darwin et l'évolution expliqués à nos petits enfantsDarwin et l'évolution expliqués à nos petits enfants est le titre du dernier livre que j'ai traduit. Ce fut comme un baume après les difficultés rencontrées lors de mon travail précédent, Le Pain et le Cirque, un livre extrêmement érudit et dont les complexités avaient été abordées dans un post récemment. 

    Cependant, même si Darwin est un livre moins complexe pour ce qui concerne le travail de traduction, il n'en présente pas moins des difficultés assez stimulantes. Les questionnements liés à la traduction de ce livre concernaient le langage utilisé par l'auteur, le paléoanthropologue Pascal Picq, qui l'a écrit en forme d'une conversation informelle entre un adulte et un adolescent. Un texte fluide, agréable à lire, mais qui requiert une bonne connaissance des mots et expressions familiers tels qu'ils sont employés par la jeunesse d'aujourd'hui dans les deux langues travaillées, ce qui n'est pas aussi évident qu'il n'y paraît. Car mon souci consistait à utiliser des mots et expressions équivalents, ayant la même teneur de familiarité que celle employée par l'auteur, sans tomber dans la vulgarité tout en évitant un certain formalisme académique. Un autre souci lié à l'utilisation d'argot ou expressions familières était d'éviter des mots ringards, ou plutôt, ceux que j'utilisait, moi, dans ma jeunesse, mais qui ne sont plus du tout actuels.  

    Indépendamment des aspects liés à sa traduction, j'aurais aimé, évidemment, aborder le contenu de ce petit mais ô combien édifiant bouquin : il parle de la théorie de l'évolution proprement dite mais aussi de son auteur et du contexte dans lequel elle a été rendue publique. Elle a provoqué beaucoup de polémique à l'époque de sa première parution, et encore aujourd'hui elle constitue l'objet de controverses surtout pour ceux qui l'opposent aux théories créationnistes. De mon point de vue, cette théorie vaut la peine d'être mieux connue y compris par ses détracteurs : rien ne vaut une argumentation fondée sur la connaissance approfondie du sujet que l'on veut combattre. 

    Je le recommande chaudement à tous ceux qui se demandent comment aborder des thèmes concernant les origines et l'évolution de notre espèce avec ses enfants et/ou petits-enfants e aussi à tous les adultes qui ne s'étaient pas intéressés jusqu'alors à ce sujet. Car connaître la théorie de l'évolution nous conduit nécessairement à regarder l'être humain sous une nouvelle perspective, beaucoup plus large, et révèle l'urgence de l'adoption d'un comportement écologiquement plus responsable par tous ceux qui habitent la planète Terre.  

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  • Le Pain et le CirquetLe Pain et le Cirque est le titre du livre que j'ai traduit l'année dernière et qui vient de paraître au Brésil. En France sa parution date de 1976. J'ai reçu mon exemplaire il y a deux jours. Encore une fois, j'ai été émue de voir ma contribution à cette oeuvre monumentale ainsi matérialisée. La maison d'édition Unesp a, encore une fois, fait un très beau travail. Le livre a presque huit cents pages. Son auteur, l'historien et archéologue français Paul Veyne, est un grand érudit et aussi un perfectionniste, caractéristique facilement repérable dans son livre. Il nous plonge habilement dans les minutieux détails de l'évergétisme - le don à la collectivité -, un phénomène largement répandu sous les empires grec et romain, grâce auquel nous retrouvons aujourd'hui encore un nombre important d'arènes, thermes et monuments divers, vestiges de cette pratique. 

    Veyne s'oppose aux interprétations qui considéraient l'évergétisme une tentative de dépolitisation des masses ou une forme de clientélisme et dissèque la complexité de ce phénomène lorsqu'il montre qu'il va bien au-delà de son aspect purement politique, révélant ses imbrications symboliques et sociales.

    Rigoureux, cet auteur nous propose simultanément une sociologie historique et une histoire sociologique de l'évergétisme. A ceux qui se demandent en quoi cela le distingue d'un livre purement historique ou purement sociologique, je suggère la lecture de la préface rédigée par l'auteur lui-même, où il aborde cette question. Voici un extrait, court et, pourtant, très instructif : "... un même événement, raconté et expliqué de la même manière, sera, pour l'historien, son objet propre, tandis que, pour un sociologue, il ne sera qu'un exemple servant à illustrer telle régularité, tel concept ou tel idéaltype". C'est ainsi que nous retrouvons les notions de charisme, d'expression, de professionnalisation (entre autres) dans "Le Pain et le Cirque - sociologie historique d'un pluralisme politique" pour expliquer des événements, mais qui sont aussi décrites pour servir d'exemple aux faits historiques. 

    Le plus surprenant dans un livre d'un tel niveau d'érudition est son langage simple, accessible aux plus communs des mortels. Ce qui a engendré quelques hésitations et questionnements chez moi pendant la traduction à utiliser des expressions qui paraissaient trop banales en portugais, mais dont la teneur correspondait tout à fait à celles employées par l'auteur. La gêne éprouvée se doit, certainement, à un certain pédantisme auquel j'ai été confrontée dans l'univers académique. Et c'est cet aspect précisément qui rend son oeuvre exceptionnelle. 

     

     

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  • J'ai récemment reçu un livre que j'ai traduit il y a deux ans environ et qui vient d'être publié au Brésil. En France il a paru en 2010. Je lis et relis des pages choisies au hasard afin de voir ce qu'a été corrigé ou changé. Ce n'est pas du masochisme, c'est pour évoluer, toujours. Je suis particulièrement fière de l'avoir traduit pour ce qu'il représente : une empreinte féministe dans les Sciences Sociales. 

    A travers une relecture critique des grands auteurs classiques des Sciences Humaines et Sociales, des chercheurs ont analysé leur pensée et leur oeuvre sous la perspective du genre, en observant de quelle manière ces auteurs-là appréhendaient le rôle ou la place de la femme dans les sociétés ou groupes étudiés, y compris par leur absence, lacune probablement révélatrice d'une certaine indifférence ou misogynie. 

    Ce qui m'a pourtant le plus marqué dans ce travail, ce fut la démystification des grands maîtres, quasiment intouchables jusqu'alors, au moins dans mon regard. Ce fut très intéressant d'envisager que lorsque Claude Lévi-Strauss qualifie les femmes comme "les biens les plus précieux" dans les relations d'échange, il a possiblement sous-estimé leur contribution économique ou socio-politique dans les groupes observés ; que le biais androcentrique des analyses de Pierre Bourdieu l'ont probablement mené à travailler plus intensément sur la violence symbolique des relations sociales, peut-être influencé par sa propre expérience personnelle, en négligeant la dynamique des relations entre les deux sexes ; et que d'une manière générale, une grande majorité d'auteurs ont rendu l'hiérarchie entre les sexes "naturelle", comme il a été suggéré dans la préface de l'édition brésilienne, rendant, par conséquent, les relations de domination des femmes par les hommes banales, en privilégiant le social comme principal facteur structurant de la dynamique sociale. En d'autres mots, la hiérarchie et la domination d'un sexe par l'autre sont appréhendées comme un fait établi et communément admis en tant que tel. 

    Il me semble inutile parler de l'importance de la publication de ce livre au Brésil et tout ce qu'il peut apporter aux chercheurs et chercheuses brésiliens. J'affirme, cependant, dans les contours personnels et égocentriques de mon travail, que je suis très heureuse d'avoir été partie intégrante de ce projet, malgré l'invisibilité du travail du traducteur. Mais cela est une tout autre histoire.    

    Références : Sous les Sciences Sociales, le genre - relecture critiques de Max Weber à Bruno Latour. Sous la direction de Danielle Chabaud-Rychter, Virginie Descoutures, Anne-Marie Devreux et Eleni Varikas, Paris, La Découverte, 2010. 

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  • Pour l'enseignement de l'anthropologie dans les collègesIl y a quelques jours j'ai commencé à mener une petite campagne pour l'enseignement de l'anthropologie au collège. Solitaire mais pleine de conviction. Le moment est très opportun. Dans ce débat autour de l'enseignement de la laïcité et du fait religieux dans les écoles, quelle discipline pourrait parler de tout cela mieux que l'anthropologie ? Or, le propre même de l'anthropologie est la neutralité car elle ne se limite pas à transmettre la connaissance, elle opère aussi sur le regard que l'on porte sur soi-même, sur les autres et, par conséquent, sur la société dans laquelle nous vivons.

    J'ai donc écrit à la Ministre de l'Éducation Nationale. J'ai également envoyé ma suggestion à deux débats, l'un sur France Bleue Alsace et l'autre sur Europe 1. Je sais, pourtant, que ces lettres resteront sans réponse et c'est pour cela que je recours maintenant à mon blog. Pour faire appel à ceux qui croient, comme moi, que l'anthropologie pourrait intégrer le programme scolaire des collégiens, voire des lycéens ou écoliers, d'adhérer à ma campagne. Ainsi, la laïcité serait enseignée dans son contexte historique et le fait religieux dans un large tableau incluant aussi les religions non monothéistes. Et les différences culturelles seraient montrées telle qu'elles sont : des différences dans le système de valeurs et de pensée, dans la vision du monde, bien au-delà des différences culinaires ou vestimentaires. 

    Lorsque j'exerçait l'anthropologie, j'avais été appelée à intervenir dans une association humanitaire qui avait pour mission de travailler avec des gens de différentes nationalités. Il y avait beaucoup de conflits car le problème de l'interprétation des comportements des uns et des autres grandissait. J'ai donc préparé une conférence avec l'aide de l'un de mes maîtres incontestés, j'ai utilisé le discours de Claude Lévi-Strauss proféré aux Nations Unis intitulé "Race et histoire". J'ai essayé de casser leurs paradigmes, d'inverser leur vision des choses, et c'était plutôt réussi. Les auditeurs sont sortis différents car, avant, ils portaient un jugement sur les autres à travers le filtre de leur propre culture, d'un regard chargé de leurs propres valeurs, en d'autre mots, ils jugeaient alors qu'ils devraient chercher à comprendre. Et c'est cette question de l'interprétation souvent erronée qui se trouve au cœur des conflits interethniques, en large et en petite échelle.

    Je ne crois évidemment pas que les choses pourraient évoluer dans le bon sens comme dans un tour de baguette magique, mais je suis totalement persuadée que l'enseignement de cette discipline pourrait rendre la vie en société moins difficile, qu'elle pourrait ouvrir le regard de tout un chacun. Le credo "différents mais égaux" prendrait, avec elle, tout son sens. 

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  • L'usage pratique de l'anthropologieDu temps de mes études d'anthropologie ou même après, la question la plus fréquente que l'on me posait concernait l'usage, voire même l'utilité de l'anthropologie. Ma réponse : " vous avez un peu de temps ? " Or, le champ d'application de l'anthropologie est tellement ample que cette discipline devrait, à mon avis, être enseignée dès le collège pour une approche globale du monde qui nous entoure dans le respect de l'autre. Et pour rester dans le pragmatisme économique dominant de nos jours, voici qu'un article publié dans l'Obs de cette semaine nous en donne un exemple concret.

    Cet article parle de l'essor économique de l'entreprise SEB qui emploie des méthodes commerciales audacieuses fondées sur les innovations technologies de son centre de recherche, qui partent d'une connaissance approfondie des particularités culturelles du marché convoité. Une entreprise française qui vend des cuiseurs à riz aux Chinois, des fers à lisser les cheveux aux Coréennes, des cafetières Krups aux Allemands et des centrales vapeurs aux Thaïlandais, il fallait oser.

    Conquérir des marchés aussi hermétiques, surtout concernant ces produits-là, demandait une grande puissance de frappe des pôles innovations techniques, certes, mais elle s'est servi aussi des recherches anthropologiques. Le chef du projet innovation-recherche Olivier Wathelet s'est appliqué donc à " observer les gestes des cuisiniers et les tours de main, analyser le processus mental qui conduit à prendre la décision de réaliser ou non une recette, savoir quels sont les matériaux nobles pour la cuisine dans tel ou tel pays, comment on manipule les appareils, s'il faut conserver ou non le bruit du moulin à grain ou le sifflement de la Cocotte-Minute... Des petits riens qui peuvent signer l'arrêt de mort d'un appareil " et dont les réponses ne peuvent être données que par une étude de terrain équipée des outils de la discipline anthropologique. Il nous apprend qu'ils travaillent en ce moment sur une machine à faire des pâtes utilisées dans la cuisine traditionnelle chinoise après l'assemblage d'une documentation sur les préparations, leurs variantes régionales, recueillie dans un tour du pays avec une équipe de chercheurs. L'adaptation d'un produit sur mesure selon les traditions culturelles de chaque marché se trouve ainsi au cœur de la démarche entrepreneuriale, garantissant le succès international de cette entreprise familiale.

    Cela fait longtemps que l'ethnologie, la sociologie et l'anthropologie constituent l'objet des moqueries pour ce qui concerne les débouchés, les étudiants étant considérés, d'emblée, des futurs chômeurs. La semaine dernière dans la série " Fais pas ci fais pas ça ", Madame Lepic était déboussolée parce que sa fille a manifesté l'envie de faire des études d'ethnologie. Je dirais que ce problème  que l'on retrouve dans le marché de travail, bien réel, relève de l'ignorance de ce que l'anthropologie pourrait apporter ou même de l'arrogance prédominante dans l'univers professionnel qui cherche à imposer les modèles de consommation occidentaux partout dans le monde et, derrière eux, ses propres valeurs. Il suffira que les stratégies utilisées par SEB soient connues et répandues pour que change la donne. Le respect de l'autre se fera pour des raisons financières et économiques. Même si les raisons d'un tel revirement ne sont pas les bonnes, vu l'état où va le monde, je les prend. Ce jour-la, j'espère, mon entourage comprendra la vraie utilité de l'anthropologie. 

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  • Le robots traducteursDepuis que je suis toute petite, j'ai toujours été quelqu'un qui pèse le pour et le contre des grandes et petites questions, qui se met à la place de l'autre pour ne pas juger, qui pondère et se remet en cause sur quasiment tous les sujets. C'est parfois fatigant. Aujourd'hui mon mari dirait que c'est une déformation professionnelle, mais je crois que ça va même au-delà.

    Aussi je détesterais me voir comme quelqu'un réactionnaire, comme ces gens qui croient que tout était mieux avant. Au contraire, je peux dire que j'étais assez avant-gardiste, un peu rebelle, la brebis noire selon les dires de mon père car je défendais des positions libérales dans une société très conservatrice sous la dictature militaire au Brésil. Cependant, j'ai lu un article dans le Nouvel Observateur qui a provoqué, chez moi, un grand malaise car ma première réaction a été conservatrice, ce qui représente un sentiment nouveau pour moi et qui me déplait.

    L'article en question parle des nouveaux outils numériques et pose la question du remplacement, dans un avenir proche, des traducteurs en chair et en os. Selon le journaliste Tancrède Bonora, les téléphones seront très prochainement capables d'interpréter une conversation dans une langue étrangère. L'entreprise Microsoft aurait présenté en juillet dernier, un concept de traducteur simultané en 100 langues dont le principe consiste en transformer, en une fraction de seconde, la voix en texte qui serait, à son tour, traduit et puis prononcé par la machine à son interlocuteur, dans l'idiome choisi. Apparemment le test effectué par Microsoft sur une conversation anglais-allemand a été prometteur et une version de test dans d'autres langues sera disponible à la fin de l'année. Ce genre d'invention intéresserait aussi des pionniers de lunettes connectées pour permettre la lecture d'un livre écrit dans n'importe quelle langue dans notre langue maternelle. Selon le journaliste, à l'heure actuelle les robots ont encore besoin des humains pour évoluer et se perfectionner. Pour cela, Google encourage les internautes à enrichir les expressions et tournures de phrases que son algorithme de traduction a du mal à interpréter. Mais, à ce rythme, très bientôt les traducteurs humains seront dispensables. 

    Cet article m'a fait penser à une conversation que j'ai eue avec une amie il y a environ vingt ans. Ce fut peu après mon arrivée en France. J'étais encore surprise par une certaine automatisation dans la société ou par l'absence d'humains dans quelques activités (pompistes, caissières...). Naïvement, je disais à mon amie qu'il était triste de voir la machine remplacer l'homme  alors que le taux de chômage ne faisait que monter. Mon amie, qui est physicienne de particules, a réagi avec véhémence disant que ses parents s'étaient battus pour la fin de certaines activités ingrates et qu'il serait le comble faire marche arrière pour réemployer des gens dans des activités peu valorisées socialement. J'étais confuse. D'une part, je comprends que certaines activités soient effectivement dures. D'autre part, j'estime qu'il y a un certain élitisme dans cette position car, après tout, tout le monde ne souhaite pas ou n'a pas les compétences pour être physicien de particules, moi la première. Je respecte, considère et traite de la même manière les ingénieurs, mes collègues docteurs, les caissières et les pompistes et pense, comme le dicton, qu'"il n'y a pas de sous métier". Et je vais encore plus loin dans mon raisonnement : lorsque j'étais enfant, j'étais convaincue que ceux qui exerçaient des activités dures ou physiquement dégradantes avaient un très bon salaire à titre compensatoire. Mais cela fut avant que je ne commence à comprendre les mécanismes socio-économiques et surtout symboliques qui régissent nos sociétés. Et leurs immenses incohérences et contradictions... 

    Enfin, pour finir cette conversation, je me demande ce que dirait mon amie en sachant que la machine va très bientôt remplacer les traducteurs, les journalistes, les rédacteurs, des métiers qui sont loin d'être ingrats et qui, au contraire, apportent une grande satisfaction intellectuelle à ceux qui l'exercent ? Quelle idéologie politique, de gauche ou de droite, de centre ou socio-démocrate, libérale ou conservatrice, justifierait encore une fois la substitution de l'homme par la machine sans l'excuse de la pénibilité de la tâche ? Malheureusement la petite fille naïve et éloquente que j'ai été n'est plus là pour essayer de donner une réponse... 

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  • Mes excuses pour quelques choseIl y a quelques jours j'ai écrit un post en portugais à propos d'un article paru dans le journal brésilien Folha de São Paulo. Ce sera un peu compliqué de le rédiger en français tellement les expressions brésiliennes que le texte aborde sont particulières et difficilement traduisibles. A commencer par le titre que j'ai traduit littéralement en français. Mais je vais quand même essayer. 

    Mon post mentionne un article de Gregorio Duvivier qui est, pour moi, un petit bijou de description ethnographique car il condense avec un humour fin et intelligent l'âme brésilienne. Par une satirique traduction littéral d'expressions très brésiliennes vers l'anglais, Duvivier parle de nos moeurs, de nos coutumes, de notre politique, de nos retards récurrents, de la particularité de notre culinaire, de notre religion et croyances et aussi de notre supposée hospitalité, et tout cela en seulement 31 lignes. Il rédige un texte avec des phrases courtes qui mélangent le portugais et l'anglais, cependant seuls les anglophones qui parlent portugais et connaissent le Brésil peuvent comprendre - et encore.

    Il termine son texte avec la très brésilienne et intrigante expression "mes excuses pour quelque chose". En la traduisant en français je me suis rendue compte de combien elle pourrait être étrange. L'idée de cette expression, pour ceux qui ne connaissent pas les brésiliens ou qui ne l'ont jamais entendu, serait de présenter ses excuses pour quelque chose que l'on ait pu éventuellement dire ou faire, un peu flou et totalement générale, juste au cas où. 

    Cette expression est très répandue parmi nous mais assez destabilisatrice lorsqu'elle est utilisée à l'adresse de nos amis étrangers. Je me suis souvenue de la fois où mon amie Helma, néerlandaise, est venue me rendre visite. Malgré tous mes efforts de self-control, au moment où elle croise la sortie pour s'en aller, voilà que l'énigmatique expression s'échappe de ma bouche (et prouve la force de la culture). Elle se tourne vers moi d'un air surpris : "Sorry about what?!"

    Tout cela m'a fait réfléchir. Dans un pays où la règle est de contourner la règle, où prédomine la loi de Gerson (chacun pour soi), où les limites de la permissivité sont constamment redélimitées par chacun - unilatéralement, c'est comme si cette expression venait couronner les éventuels débordements occasionnés par la flexibilité existante dans les règles de sociabilisation avec notre historique cordialité proclamée par Sérgio Buarque de Holanda dans son classique Raízes do Brasil. En d'autres mots, je fais plus ou moins ce que je veux, de la manière que je l'entends et à la fin, pardon, tout va bien, après tout, dans un pays béni par Dieu, tout se termine avec la samba.

    Je ne sais pas si cette expression a déjà été étudiée à l'exemple de cette autre phrase aussi très diffusée dans notre société "savez-vous à qui vous parlez ?" brillamment analysée par Roberto DaMatta dans son Carnavais, malandros e heróis. En tout cas, elle le mérite. En attendant, je vous laisse le lien du texte de Gregorio Duvivier pour ceux qui s'intéressent à la société brésilienne et qui lisent le portuglais. Amusez-vous bien !

    Texte de Gregorio Duvivier paru dans la Folha de São Paulo

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