• Le sens du " oui "

    Le sens du " oui "Je ne sais pas très bien pourquoi les mariages m'agacent. Non pas l'institution mariage qui constitue la base sociale de plusieurs sociétés, laquelle je respecte et dans laquelle je me sens bien avec mon chéri. Je crois que ce qui m'exaspère est l'ensemble d'images qui lui est associé, matérialisé dans des cérémonies somptueuses dont le sens me semble s'être égaré dans les méandres du style de vie moderne. À mon avis, l'idéal serait de distinguer les deux comme font les anglophones qui ont un mot pour la cérémonie, wedding, et un autre pour l'institution, marriage. Car, même si je considère excessive l'importance donnée à ce cérémonial, je respecte totalement l'union de deux personnes de n'importe quel sexe et modalité. Après tout, comme disaient Lennon et McCartney, all we need is love. 

    En réfléchissant bien, ce qui me rend furieuse serait plutôt une certaine vision romantique du mariage véhiculée par des films, feuilletons et romans à l'eau de rose dans laquelle la femme apparaît comme l'éternelle demandeuse devant un mâle stoïque. Celle-là même qui, désespérée, se jette pour rattraper le bouquet dans le mariage de ses amies et qui attend, avec une tremblante émotion, la demande de mariage faite par l'homme, viril et suffisant. Cette demande représenterait, dans cette construction imaginaire, l'apogée symbolique du bonheur féminin, une extrême sottise lorsque l'on sait que, objectivement, c'est la femme qui a le plus à perdre dans les modèles encore actuels de la vie à deux, dans lesquels les tâches domestiques sont exercées majoritairement par elle (statistiquement prouvé), cumulant une double journée de travail lorsqu'elle rentre à la maison. Et cette vision chimérique est mystifiée par des fêtes opulentes qui concrétisent la plus belle journée de nos vies, qui, avec ses symboles, s'impose comme le happy end par excellence, un rite de passage à partir duquel les personnages vécurent heureux à jamais. Dans le langage publicitaire, je dirais que c'est de la publicité mensongère. 

    La vie dans toutes les sociétés, modernes et primitives, est ponctuée de rituels qui, dans leur aspect fonctionnaliste, devraient attribuer des significations à la vie sociale. C'est justement ce sens qui me semble être souvent négligé dans les plus diverses manifestations, ce qui pousse les gens à des pratiques mécaniques qui deviennent une forme d'obligation sociale qui n'a rien d'une symbologie rituelle. Le sens attribué à un acte était un sujet récurrent dans mes cours d'anthropologie, et son absence également qui recevait, d'ailleurs, un nom : névrose obsessionnelle, une pathologie psychanalytique que les sciences sociales ont empruntée pour caractériser les comportements que les gens adoptent sans savoir exactement pourquoi.

    Cependant, j'ai récemment fait la découverte d'une donnée historique qui m'a réconcilié avec le rituel du mariage. J'ai appris, avec l'historienne Michelle Perrot, que la cérémonie du mariage s'inscrit dans l'histoire de transformation sociale de la femme, lorsqu'elle cesse d'être objet pour devenir sujet. Ce moment serait, d'ailleurs, l'étape principale de cette métamorphose, grâce au rôle exercé par le christianisme qui, malgré son traditionnel machisme, imposait l'idée que les hommes et les femmes étaient égaux devant Dieu. À partir de là, le consentement des femmes dans le sacrement du mariage a été exigé (XIII siècle). Jusqu'alors, les jeunes filles étaient forcées au mariage avec celui qui leur était imposé pour les raisons les plus diverses (patrimoniale, patronymique, etc.), parmi lesquelles le sentiment n'était évidemment pas un critère considéré, encore moins celui des femmes. Le consentement devient alors nécessaire, elle devrait dire " oui " devant la plus haute autorité, représentée, ces années-là, par les ecclésiastiques, afin de confirmer que leur acte était délibéré. Le consentement féminin a apporté avec lui le mariage par amour, une grande nouveauté historique, conséquence directe de l’avènement de la femme sujet

    Après avoir lu cet entretien il y a quelques jours, la vision que j'avais de cette cérémonie s'est inversée, de traditionnelle et conservatrice elle est devenue moderne et libératrice. Par ignorance historique, je jugeais un rituel négativement lorsque, dans la pratique, sa fonction sociale a été transformatrice. Cela vient confirmer l'importance du sens attribué à nos actes, même - et peut-être surtout - ceux qui se sont automatisés. Au même temps, nous ne pouvons pas nier que, depuis lors, le monde a évolué et, avec lui, les institutions sociales. Je me suis demandée, sans réponse, quel serait le sens attribué à ce cérémoniel aujourd'hui. Pour ce qui me concerne, je n'aime toujours pas les robes de mariée.

     

    Entretien avec Michelle Perrot dans Les Hors Série de L'Obs, " Peut-on échapper à la domination masculine ? " n° 102, juillet 2019.

    « O sentido do "sim"As pequenas mortes da vida »
    Partager via Gmail Yahoo! Blogmarks

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :