• Portugais ou brésilien ?Il y a quelques années, j'avais écrit un billet sur l'éventuelle émancipation du Portugais du Brésil par rapport au Portugais européen qui avait suscité une révélatrice polémique auprès des lecteurs portugais. Je ne sais pas pourquoi je ne l'avais pas rédigé en français à l'époque, mais je viens maintenant réparer cette négligence. D'autant que, chez les francophones aussi, les différences culturelles qui se manifestent dans le français parlé au Québec, en France métropolitaine, le français antillais, celui du nord de l'Afrique, sont importantes. Que dire alors de l'anglais britannique, américain, sud africain ou kényan ? Cependant, il paraît que les différences entre le portugais parlé au Portugal et celui parlé au Brésil sont encore plus importantes, d'après un article lu quelque part. 

    Cette affirmation m'a fait réfléchir sur la question de l'émancipation d'une langue. A partir de quand un idiome peut-il être considéré autonome ? Quels sont les critères linguistiques, sémantiques, culturels ou autre, qui déterminent qu'une langue s'est affranchie de sa langue mère, qu'elle a commencé à voler de ses propres ailes, comme un fils qui devient adulte ? Que faut-il pour qu'un idiome devienne indépendant, comme un État qui a acquis sa souveraineté ? Les critères sont certainement moins complexes que ceux nécessaires à la construction d'une Nation, mais je pense qu'ils sont assurément affectivement tout aussi douloureux que l'insécurité ressentie lorsqu'on quitte la chaleur du nid familial.

    Que ce soit clair, je ne revendique rien, je ne prends position pour ou contre quoi que ce soit. Je soulève tout simplement cette question qui fait écho au positionnement des professionnels dans le marché de la traduction qui distinguent clairement les deux appellations, Portugais européen et Portugais brésilien (sans mentionner ici les autres variantes lusophones africaines ou asiatiques), comme si elles étaient deux langues distinctes. Et ce, même après la réforme orthographique de 2009 qui cherche à uniformiser le portugais formel dans tous les pays lusophones.

    D'après Maria Tereza C. Biderman qui a étudié le sujet, les différences majeures entre le Portugais européen et le Portugais brésilien sont phonétiques et lexicales. Selon elle, les changements advenus pendant la formation de la société brésilienne dans le Portugais brésilien se sont reproduits dans le domaine de la norme, et non du système. Il faut lire " Maître et esclaves ", du sociologue brésilien Gilberto Freyre, pour mieux comprendre ces changements et plonger dans ce magnifique métissage linguistique lorsque cet auteur nous parle de tous les mots transmis par les nourrices africaines aux enfants des maîtres blancs incorporés, peu à peu, dans le langage quotidien, de tous ces termes indigènes qui décrivent et décryptent si bien l'exubérante nature tropicale, fusionnés dans la langue nationale devenus des noms communs chez nous.

    Cette anthropophagie, si chère aux modernistes brésiliens, n'a pas eu lieu en terre européenne où les choses se sont passées autrement : les influences ne sont pas les mêmes, encore moins les conditions car, là-bas, le rôle et la fierté du colonisateur a certainement rendu la vie dure au contact et aux échanges. C'est peut-être cette fierté qui, me semble-t-il, a provoqué une réaction plutôt emportée chez mes collègues portugais lors de la publication de mon billet il y a quelques années. Ils n'acceptaient pas l'idée de l'appellation " Portugais européen ", disant qu'il n'existe qu'un seul et unique portugais, celui du Portugal. Dans cette logique, le brésilien serait-il un portugais illégitime ? 

    En fait, j'aime me sentir partie intégrante de la communauté lusophone, je me sens proche de ses membres, et seulement ceux qui ont entendu leur langue maternelle dans un continent si exotique comme l'asiatique et se sont sentis " chez soi " dans une culture si différente de la nôtre dans une lieu comme Macao, peuvent comprendre ce sentiment d'appartenance malgré (et au-delà des) les différences.

    Alors, si je peux lire un texte formel non littéraire (puisque, dans ce dernier cas, l'origine de l'auteur est très rapidement établie) écrit en portugais européen et distinguer à peine son origine, je peux, par contre, reconnaître un portugais dès lors qu'il me dit " bonjour ! ". Mais cela m'arrive également avec la langue espagnole, que je peux lire et comprendre sans jamais l'avoir formellement apprise, très clairement considérée une langue à part entière vis-à-vis du portugais, affirmation que personne ne pourra contester aujourd'hui. 

     

    Obs: Pour ceux qui souhaitent se laisser charmer par la beauté du Portugais européen dans la voix de Maria de Medeiros disant les mots du grand poète portugais Fernando Pessoa, je vous invite à regarder la vidéo postée juste à côté ici même dans ce blog. Magnifique !

    Référence : Maria Tereza Carmargo Biderman, O Português Brasileiro e o Português Europeu : Identidade e contrastes, Revue belge de Philologie et d'Histoire, 2001, pp. 963-975.

     

     

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  • Le marché du traducteurNon, je ne me suis pas trompée sur le titre, je veux bien parler du marché du traducteur et non de celui de la traduction. Ce dernier, on le sait, se trouve en pleine expansion avec une augmentation annuelle proche des 6% et un chiffre d'affaires de 43 milliards de dollars pour l'année 2017, selon l'Index Translationum de l'UNESCO.

    Malgré tous les prognostiques pessimistes qui annoncent la fin de notre métier comme conséquence de l'émergence des nouvelles technologies liées à la traduction, le traducteur reste, à ce jour, un acteur central dans ce dynamique secteur, même s'il n'en est pas toujours le principal décisionnaire, devenu tributaire des intermédiaires les plus divers. Par contre, à voir la quantité de produits et services qui nous sont proposés en permanence, il me semble clair que nous en soyons devenus aussi un objet central, la principale cible d'un marché qui s'est constitué dans le marché - certainement très rentable puisqu'il est aussi en croissance.

    J'admire ceux qui entreprennent et je comprends leur besoin d'élargir leurs marchés, d'augmenter leurs chiffres, de voir leurs affaires fructifier, s’agrandir. Je reçois quotidiennement des messages me proposant des services de marketing pour professionnels libéraux, des participations à de séminaires pour autoentrepreneurs, de vente ou de mise à jour d'outils d'assistance à la traduction, des cours pour perfectionner nos compétences en traduction, des cours de sous-titrage, entre autres. La création d'outils informatiques, la mise en place de cours et de séminaires, la confection de matériels, tout cela a un coût et ces supports sont souvent nécessaires, ils sont supposés enrichir le métier et le rendre plus simple, plus rapide, plus " rentable " mais... pour qui ? Car lorsque l'on se place de l'autre côté dans la relation commerciale que ce négoce est en train d'établir, la réalité est beaucoup moins reluisante. Je ne sais pas comment les choses se présentent pour la plupart de mes collègues traducteurs, et j'avoue ne pas encore connaître toutes les ficelles du métier, mais j'ai un peu de mal à suivre.   

    Je pose donc la question qui fâche : combien doit-on gagner pour répondre aux besoins d'un marché de plus en plus exigeant ? Il est loin le temps où un traducteur devait bien connaître deux (ou plusieurs) langues pour travailler. Aujourd'hui il doit être un as en technologie informatique bien au-delà des seuls OAT, un spécialiste dans un ou plusieurs domaines d'expertise, terminologue, sémiologue, analyste... cela n'en finit pas... car avoir son outil d'aide à la traduction ne suffit pas, il faut le mettre à jour fréquemment, et ce n'est pas donné ; les cotisations aux syndicats et/ou associations de traducteurs sont annuelles et plutôt onéreuses. Même peu chers, les frais de maintien d'un blog pour ceux qui s'y lancent doivent être également considérés, ainsi que les frais d'inscription à des congrès et séminaires qui coûtent bonbon, même pour les adhérents ; et enfin, rajoutons à tout cela les taxes locales et l'Ursaff... arrivera-t-on à amortir notre " investissement " un jour ? Nous investissons comme un chef d'entreprise, mais sommes rémunérés comme un salarié. 

    J'adore mon métier et je m'accroche tant que je peux, mais je ne connais aucun autre métier où l'on doit autant payer... pour travailler.

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